Profitent-ils du système ?

Nov 9, 2018 | Consommation, Decryptage - 11, Décryptages, Emploi, Home-18, Sécurité sociale / Santé

La protection sociale n’incite pas les gens à profiter du système. 

Un système de protection sociale favorable n’incite pas forcément les gens à rester au chômage ou au CPAS. Les êtres humains ne cherchent pas uniquement un emploi pour des raisons financières, mais également pour s’émanciper et s’intégrer. Le vrai problème : les formes de travail précaire et les coûts que peuvent engendrer le travail.

Comparé à celui d’autres États, tels que les pays en développement, le système de protection sociale en Belgique est de qualité, même s’il n’est pas aussi favorable que celui des pays scandinaves. « C’est un bon système en termes d’assurance sociale. Il y a un filet protecteur pour les individus qui passeraient entre les mailles de la sécurité sociale », reconnaît Esteban Martinez, sociologue du travail à l’Université libre de Bruxelles (ULB).
Mais ces mécanismes « généreux » dont nous bénéficions pourraient-ils pousser certaines personnes à profiter des aides existantes (allocations de chômage, revenu d’intégration sociale…) plutôt que de travailler comme les autres ?

Au-delà du gain, l’émancipation

Penser qu’offrir une aide à des individus les démotiverait à chercher un emploi est une idée contestable. « C’est réduire les gens à peu de chose », soutient Esteban Martinez. « Certes, nous avons tous besoin d’argent pour vivre et pour nous construire un avenir, mais réduire les gens à des êtres économiques qui n’auraient d’autre motivation que l’argent pour chercher un emploi, c’est déroutant. Il n’y a pas que l’appât du gain. Le travail est également un moyen d’émancipation et un vecteur d’intégration sociale. Il permet de créer des liens et de contribuer à la production sociale. Ce sont, là aussi, les moteurs de la recherche d’emploi. »

Le coût du travail

Parfois, ce qui empêche les individus à chercher un emploi, ce n’est pas tant la générosité de notre protection sociale que le coût que peut engendrer un travail. En effet, travailler peut aussi coûter de l’argent. Pensons aux frais de déplacement si on doit se rendre dans une autre ville ou si notre métier requiert l’achat d’un véhicule, aux coûts pour garder les enfants (crèche, garderie…) et aux outils désormais indispensables pour travailler (GSM, ordinateur, connexion à Internet…).

Par ailleurs, le montant des allocations de chômage est, certes, inférieur à un salaire d’un poste à temps plein, mais il peut être supérieur à la faible rémunération perçue par les formes de travail précaire (temps partiels, intérims…).

« Par les coûts engendrés par le travail et par la précarité de certains emplois, les gens n’ont donc pas toujours intérêt à travailler. Mais pourtant, la plupart le font. Ils le font justement pour s’émanciper et pour s’intégrer. »

Emploi et chômage, deux vases clos

« Contrairement à ce que certains pensent, il n’existe pas de vases communicants entre le chômage et l’emploi », affirme Esteban Martinez. Depuis une trentaine d’années, le chômage en Belgique est à la fois massif et permanent. Mais en parallèle à cette situation, on peut également remarquer que l’emploi a considérablement augmenté. Depuis 1980, près d’un million d’emplois ont été créés. « Notre système de sécurité sociale n’a pas empêché un mouvement d’émancipation des femmes, qui rejoignent les rangs de l’emploi salarié. Idem pour les jeunes, qui, dès la sortie de leurs études, se mettent à rechercher un travail, plutôt que de se tourner directement vers une forme d’assistance. »

Par contre, tous ces emplois créés ne possèdent pas toujours la qualité attendue. Les formes de travail précaire se sont développées : intérims, contrats à durée déterminée, temps partiels, travail soi-disant indépendant, stages peu ou pas rémunérés, travail intermittent, emplois subsidiés…

Chez les femmes, 50 % des travailleuses sont à temps partiel. Les jeunes sont également fortement touchés par cette précarité de l’emploi. « On pourrait penser que ce serait un frein. Pourtant, les jeunes se dirigent quand même vers le marché du travail à travers des emplois bien plus précaires qu’auparavant. »

Diminuer la protection sociale n’est pas une solution

On peut penser qu’en diminuant la protection sociale, on inciterait les personnes privées d’emploi à chercher du travail. C’est ce que l’on fait déjà avec la dégressivité des allocations de chômage dans le temps. Mais selon Esteban Martinez, ce mécanisme n’est pas idéal, puisqu’il pousse les personnes à accepter des emplois précaires ou aux conditions de travail peu favorables. De plus, cette situation impacte l’ensemble de la population active, étant donné que, par effet de ricochet, elle tire vers le bas les conditions sociales de tous les travailleurs.

 

Crédit photo : CGSP ULB Enseignement & Recherche

Share This